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Du support analogique au fichier numérique : enjeux et problématiques des archives audiovisuelles conservées aux Archives nationales

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Sandrine Gill est cheffe de projet archivage audiovisuel, Département de l’archivage électronique et des archives audiovisuelles, Archives nationales

Depuis plus de 35 ans, les Archives nationales reçoivent, classent, conservent et valorisent des archives sonores et audiovisuelles, issues des administrations publiques de l’Etat, de fonds privés ou produites par l’institution[1]Je tiens à remercier Martine Sin Blima-Barru, responsable du Département de l’archivage électronique et des archives audiovisuelles aux Archives nationales, de m’avoir donné le goût des … Continue reading. Au-delà la diversité des sujets, le florilège des supports témoigne de l’évolution des techniques : disques pyral ou 33 tours, bobines et bandes magnétiques, cassettes vidéo U-Matic, VHS, DAT, cassettes audio, mini disques, DVD…jusqu’au fichier numérique natif. La fragilité des supports constitue un véritable enjeu de pérennisation et d’accessibilité des archives qu’ils contiennent. Car à l’ère du numérique, c’est par le biais d’un fichier issu d’une numérisation et non plus par la projection d’une bobine ou le visionnage d’une cassette que les archives audiovisuelles se dévoilent, s’analysent, se communiquent et poursuivent leur course dans l’histoire. Pour les archives audiovisuelles plus récentes, nativement numériques, les enjeux de communication, de diffusion ou de pérennisation se posent en d’autres termes tous aussi complexes : bien qu’elles aient une forme numérique, ces archives font appel à des facultés cognitives et mémorielles qui lui sont propres. On ne visionne pas un document d’archive, on n’écoute pas un enregistrement, de la même manière que l’on lit un document écrit.

Figure 1 : Diversité des supports audiovisuels : VHS, DVCAM, DVD, U-Matic. Arch. Nat. 20160438. Archives audiovisuelles du Théâtre national de Chaillot.

Les fonds d’archives audiovisuelles aux Archives nationales, une typologie particulière

2 Laisser un commentaire sur le paragraphe 2 0 Collectées à partir des années 1980, les archives sonores et audiovisuelles constituent aux Archives nationales une typologie particulière d’archives, complémentaire des archives papier ou photographiques. Avant de s’interroger plus précisément sur les conséquences du numérique sur les archives audiovisuelles numérisées ou nativement numériques, il convient de caractériser les trois catégories de fonds conservés aux Archives nationales : les archives orales constituées par les Archives nationales, les archives audiovisuelles produites et collectées par les administrations publiques de l’Etat, les fonds privés conservés par l’institution [2]Sous la direction de Martine Sin Blima-Barru, Panorama sur 35 ans de collecte d’archives audiovisuelles aux Archives nationales. … Continue reading.

3 Laisser un commentaire sur le paragraphe 3 0 Les archives orales produites et collectées par les Archives nationales
La première catégorie d’archives, produite par les Archives nationales au sein d’une cellule créée en 1980 par Chantal Tourtier-Bonazzi responsable de la section contemporaine, future « section du XXe siècle », avait pour double but de collecter des témoignages relatifs à la Seconde Guerre mondiale et de donner « de la chair » aux dons et dépôts d’archives privées reçues en les accompagnant d’un enregistrement sonore collecté auprès du donataire ou du déposant, enrichissant le fonds papier de nombreux éléments de contexte saisis sur le vif, grâce la conversation captée [3]Après son départ de Archives nationales, Chantal Tourtier-Bonazzi poursuit cette démarche par des rencontres de résistants, d’anciens déportés et même des collaborateurs pour enregistrer … Continue reading.
Grâce à cette activité, les Archives nationales conservent les témoignages, exemples parmi tant d’autres, de Simone Mittre (411AP), secrétaire du collaborateur Fernand de Brinon (743AP), de Pierre de Saint-Prix qui évoque la résistance dans la Drôme ou l’entretien de Michel Aurillac (365AP) parlant de l’Indochine entre 1930 et 1945. A côté des micros tendus par les conservateurs d’archives, des associations d’anciens résistants ont pris le relais et ont déposé le résultat de collectes de témoignages comprenant souvent plusieurs centaines d’heures d’enregistrements. On citera l’important fonds d’archives sonores déposées par Thérèse Tournon sur le Réseau Jade-Fitzroy, ou le fonds tout aussi comparable en intérêt et volume, de l’Association pour l’étude et la présentation de l’histoire de la Résistance et de Blagnac.
On connaît les ouvrages de Sarah Fichman [4]Sarah Fichman, Femmes de prisonniers de guerre, 1940-1945, L’Harmattan, 1987, William Guéraiche [5]William Guéraiche, Les Femmes et la République : essai sur la répartition du pouvoir de 1943 à 1979, Paris, Edition de l’Atelier, coll. « Patrimoine », 1999 ou Olivier Wieviorka [6]Olivier Wieviorka, Nous entrerons dans la carrière, Seuil, 1994. On sait moins que les Archives nationales conservent l’intégralité des témoignages sonores qu’ils ont recueillis dans le cadre de leurs travaux historiques, dont beaucoup sont inédits.

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Les archives audiovisuelles produites par les ministères
La deuxième catégorie d’archives, la plus conséquente, comprend les archives produites ou collectées par des ministères et autres organismes centraux de l’Etat, d’opérateurs publics, d’associations loi de 1901 ayant une mission de service public. En terme de production audiovisuelle, certaines institutions sont plus actives que d’autres, la Présidence de la République par son activité de communication étant une des plus prolifiques. De même, les thématiques sont aussi diversifiées que les fonctions des producteurs. Il serait réducteur d’associer un ministère à un sujet ; le ministère de l’Agriculture, par exemple, ne produit pas seulement des films sur l’agriculture.
« Parlez au concierge » ! Ce court film de divertissement et d’animation, daté de 1908, est le plus ancien film conservé aux Archives nationales, versé sous la forme d’une bobine 35mm. Issu d’un versement de la cinémathèque de l’Agriculture, c’est un des films du fonds Gaumont (1908-1936) composé de documentaires de vulgarisation scientifique, de techniques agricoles, de films qui oscillent entre éducation et propagande. La cinémathèque de l’Agriculture, la première des cinémathèques ministérielles [7]Plusieurs films issus des versements de ces cinémathèques furent présentés dans le cadre des Rendez-vous de l’histoire de Blois, le 9 octobre 2020 : Gouverner par l’image : les … Continue reading, fut créée dans les années 1920. Sa vocation, qui évolua au fil des décennies, était de collecter, produire et diffuser des films sur l’agriculture bien sûr, mais aussi des thématiques plus larges concernant la modernisation de la France, de ses territoires Outre-Mer et de ses colonies avant leur décolonisation. S’y trouvent également des films américains de vulgarisation technique et d’information sur les modernisations possibles en Europe dans le cadre de l’aide apportée aux pays européens en reconstruction par la commission Marshall. Sous la direction d’Armand Deleule (alias Armand Chartier) de 1947 à 1978, la cinémathèque s’engage davantage dans la production et collabore avec des cinéastes de la Nouvelle Vague.

Figure 2 : Copie d’écran du Temps de l’urbanisme réalisé en 1962 par Philippe Brunet. Arch. nat. 20170146/98. Cinémathèque du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme.

5 Laisser un commentaire sur le paragraphe 5 0 Dès 1945, une autre cinémathèque importante voit le jour, celle du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. A l’instar de la cinémathèque de l’Agriculture, le panel des sujets abordés dans les films dépasse le cadre stricto sensu des missions premières du ministère. Consacrée dans un premier temps à l’action gouvernementale en matière de reconstruction et de modernisation de la France à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la cinémathèque va développer à partir des années 1965 une politique de documentation plus technique, puis dès les années 1980, avec le développement de la vidéo, la captation de toute manifestation liée aux activités du ministère.
Tous les ministères et administrations publiques de l’Etat n’ont pas constitué de cinémathèques. Ils n’en demeurent pas moins de pourvoyeurs d’archives audiovisuelles, un média idéal pour documenter et communiquer des politiques gouvernementales, en complément aux productions écrites. On retiendra notamment les campagnes d’archives orales menées par les comités d’histoire des ministères afin de donner une dimension patrimoniale aux actions administratives entreprises. L’enquête orale du Service d’histoire de l’éducation sur les témoins et acteurs des politiques de l’éducation entre 1944 et 2008 et de l’Ecologie (archives orales constituées entre 1994 et 2016) s’avèrent des sources précieuses pour les chercheurs [8]Sandrine Gill, “Les archives orales des ministères de l’équipement et de l’environnement (1994-2016) : un versement hybride exceptionnel”, Mémoire d’Avenir. Archives nationales n°37, … Continue reading. Aucun document écrit ne pourra remplacer le récit des coulisses de la préparation d’un projet de loi ou la pratique d’un métier de terrain, comme celui d’éclusière où le témoignage mêle des informations factuelles et des ressentis personnels liés à l’histoire d’un individu : « Mon travail consiste à passer les bateaux, il y a aussi un travail d’entretien des ouvrages, c’est la partie verte, surveiller tout l’ouvrage. […] On est mieux là qu’à l’usine ! J’aime mon métier, je le trouve beau. Habiter au bord de l’eau, c’est agréable. […]. Quand j’étais petite je jouais aux petites voitures […], c’est peut-être pour ça que je suis rentrée dans un métier d’homme. » [9]Entretien d’Agnès Jolivet, éclusière, réalisé le 9 février 2015 par Reinhard Gressel, sociologue, chargé de recherche à l’IFSTTAR (SPLOTT) et Jeanne Dressen, anthropologue. Arch. nat. … Continue reading

Figure 3 : Affiche de l’exposition Filmer les procès, un enjeu social, Archives nationales, du 15 octobre 2020 au 14 mai 2021 © Archives nationales-pôle image.

6 Laisser un commentaire sur le paragraphe 6 0 Parmi toutes ces productions, l’une fait figure d’exception. Il s’agit des archives audiovisuelles de la Justice que l’on doit à la loi « Badinter » du 11 juillet 1985 qui « ouvre la possibilité de créer des archives audiovisuelles du temps présent, enregistrées, dans une démarche volontaire, pendant le cours du procès. Sorties ainsi du statut d’archives judiciaires, ces archives extraordinaires du droit sont d’emblée qualifiées d’archives historiques avec pour unique vocation de rejoindre les dépôts des Archives nationales pour y être conservées. » [10]Martine Sin Blima-Barru, Les archives audiovisuelles de la Justice. Des archives alternatives pour construire une mémoire de la Justice », Culture et recherche n°141. Cinéma, audiovisuel, son, … Continue reading. Les archives de treize procès historiques liés à la Seconde Guerre mondiale, au génocide des Tutsi au Rwanda, à la dictature chilienne, à des scandales sanitaires et industriels sont déjà conservés aux Archives nationales, les procès en cours contre le terrorisme vont les y rejoindre. [11]Exposition Filmer les procès, un enjeu social, Archives nationales, du 15 octobre 2020 au 14 mai 2021, sites de Pierrefitte-sur-Seine et Paris. Commissariat : Martine Sin Blima-Barru, conservatrice … Continue reading. Les images de ces procès, filmés en intégralité, selon les règles strictement définis dans le code du patrimoine [12]Selon le code du patrimoine (L. 222-3), peuvent faire l’objet d’un enregistrement sonore ou audiovisuel les audiences publiques devant les juridictions administratives ou judiciaires, à … Continue reading, montrent ce qu’aucune transcription ne saurait retenir : le langage des corps, l’ambiance du prétoire, les pièces produites pendant les audiences et la force des paroles prononcées.

7 Laisser un commentaire sur le paragraphe 7 0 1.3 Les archives audiovisuelles versées par des acteurs privés
Enfin la troisième catégorie d’archives audiovisuelles émane de fonds privés. Qu’elles soient produites par des personnalités politiques (Jean Zay) ou par des associations dont les missions ont été reconnues d’importance nationale (AIDES), ces archives arrivées aux Archives sous la forme de dons ou de dépôts, ont des conditions de consultation et de diffusion spécifiques, déterminées par les producteurs. Le plus souvent, elles sont complémentaires à des archives de même nature conservées sur d’autres types de support. Par le regard qu’elles portent sur les évènements, souvent décalé par rapport à celui des institutions, ces archives audiovisuelles privées sont aussi très prisées pour des projets de valorisation, notamment des expositions ou des journées d’étude.
Sur certains sujets comme l’éducation populaire qui font l’objet de nombreux projets de recherches actuellement, les ressources des associations comme la Fédération nationale du cinéma éducatif sont d’autant plus précieuses [13]Arch. nat. 20130407. Cette association privée d’éducateurs fut fondée en 1937 autour de la personnalité de Jean Brérault, instituteur, réalisateur (pour la firme Pathé), chargé de mission au secrétariat général du gouvernement de Léon Blum. Tour à tour réalisatrice, productrice et diffuseur, l’association intervient dans le milieu scolaire et parascolaire, en complément des programmes de l’Education nationale.
Ces entrées d’archives privées audiovisuelles permettent également de valoriser des associations qui sont elles-mêmes impliquées sur le terrain dans l’accompagnement d’autres associations et dans la collecte d’archives, dans le but de les conduire ensuite, dans les magasins d’archives des Archives nationales. Ainsi la très active Association des déposants aux archives de la jeunesse et de l’éducation populaire (ADAJEP) a fait entrer les fonds de l’Ecole des Parents et des Educateurs d’Ile-de-France [14]Arch. nat. 20200128, enrichissant la collection des films conservés, de ceux réalisés par Jean Dasque, avec des jeunes, dans un objectif pédagogique.
On citera également l’important travail réalisé par l’association Génériques, dont la collecte « Histoire et mémoire de l’immigration, mobilisation et lutte pour l’égalité, 1968-1988 » [15]Arch. nat. 20160153. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_055910, constitue un témoignage de l’activité foisonnante de cette association maintenant disparue et de son implication dans la sauvegarde du patrimoine de l’immigration.

De l’analogique au numérique, le rôle de l’archiviste

8 Laisser un commentaire sur le paragraphe 8 0 Quand les enregistrements audiovisuels sont des archives, particularités
Lorsque ces archives intègrent les Archives nationales, des années après leur usage, la connaissance de l’historique de leur production ou de leur conservation s’est souvent étiolée au fil du temps. L’archiviste se transforme alors en explorateur ou archéologue, tentant par différentes méthodes empiriques (relevé des indications sur les étiquettes, confrontation avec la documentation existante) et pratiques (visionnage partiel lorsque l’état des supports le permet) de reconstituer le contexte de la captation ou de l’enregistrement d’origine et les multiples transformations subies. Puis, grâce à la numérisation, méthode la plus sûre pour sauvegarder l’original, en le mettant ainsi à l’abri des manipulations par son implantation dans des espaces appropriés, et assurer la pérennisation de l’information contenue, la saveur de ces archives, si différente de celle des productions éditées diffusées à la radio, à la télévision ou au cinéma, apparaît peu à peu…

Figure 4 : Copie d’écran de Variétés n°13 [Couronnement d’Hailé Sélassié Ier, roi des rois d’Éthiopie, seigneur des seigneurs, lion conquérant de la tribu de Juda, lumière du Monde, élu de Dieu] réalisé en 1930, anonyme. Arch. nat. 20000560/67-68, Cinémathèque du ministère de l’Agriculture.

9 Laisser un commentaire sur le paragraphe 9 0
Une saveur parfois rugueuse -il s’agit de matériaux bruts-, mais ô combien délicieuse, intrigante et stimulante : observer dans un film muet de 1930 le couronnement d’Hailé Sélassié 1er, roi d’Ethiopie [16]Variétés n°13 [Couronnement d’Hailé Sélassié I er, roi des rois d’Éthiopie, seigneur des seigneurs, lion conquérant de la tribu de Juda, lumière du Monde, élu de Dieu], 1930. … Continue reading, entendre le bruit de fourchettes dans un discours du Président Georges Pompidou prononcé lors d’un dîner, voir les spectateurs s’installer dans une salle au début d’une pièce de théâtre… A la différence d’un extrait de film coupé, monté, étalonné, édité, diffusé, le film d’archive est intègre. C’est une captation ou un enregistrement sur le vif, avec tous ses « à côtés » qui le singularisent : si le discours de Pompidou avait été édité, les bruits du repas auraient été considérés comme parasites et donc supprimés, l’arrivée des spectateurs au théâtre également effacée ; seule la représentation, du lever du rideau aux saluts des comédiens, aurait été conservée. Ces suppléments ne sont pas des scories mais bien des informations en tant que telles, permettant de faire de la diplomatique audiovisuelle et de faire surgir les éléments de contexte, les informations périphériques précieuses aux chercheurs ou à l’amateur de sensations inédites. Ce contexte peut être sous-jacent. Ainsi le film sur le couronnement d’Hailé Sélassié apparaît en 2020, dans le contexte des collections patrimoniales des institutions, comme un document unique sur un événement historique et mythique, alors que dans les années 1930, lorsqu’il fut produit par le ministère de l’Agriculture, ce film faisait partie de la série d’épisodes intitulés « Variétés » consacrés aux actualités en France et dans le monde. Cet élément anachronique, que l’archiviste peut souligner au lecteur, est un élément de contexte tout aussi précieux qui agit comme un arrière-plan, un contre-champ invisible.

Figure 5 : Départ des spectateurs à l’issue de la représentation de The Sound of Silence d’Alvis Hermanis, du 4 mai 2011-6 mai 2011 au Théâtre national de Chaillot. Arch. nat. 20160438/332. Archives audiovisuelles du Théâtre national de Chaillot.

10 Laisser un commentaire sur le paragraphe 10 0
Prendre goût à ces détails qui pourraient paraître insignifiants, voir agaçants et dérangeants, peut être facilité par un encadrement pédagogique. L’expérience fut faite avec des étudiants en études théâtrales de l’université Paris 3 amenés à travailler sur les archives audiovisuelles du Théâtre national de Chaillot sous la direction de Marie-Madeleine Mervant-Roux, directrice de recherche émérite au CNRS (UMR THALIM), responsable du projet ANR ECHO [17]ECHO. [ECrire l’Histoire de l’Oral] L’émergence d’une oralité et d’une auralité modernes. Mouvements du phonique dans l’image scénique (1950-2000) et Joël Huthwohl, archiviste paléographe, directeur du département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France. A la suite d’heures d’écoute d’archives numérisées, au casque, dans une salle du site des Archives nationales du site de Fontainebleau en 2018, des révélations ont, bel et bien, eu lieu. Océane Djabellah-Peillon, étudiante en master 1 avait choisi pour sujet d’étude la représentation de Cyrano de Bergerac, mis en scène par Jérôme Savary durant la saison 1997-1998. Intriguée par le bruit des bottes qui ponctuaient la tirade des Cadets de Gascogne, elle a mené une enquête sur la fabrication de ces chaussures en retrouvant leur facture dans les archives papier du théâtre, conservées aux Archives nationales [18]Fonds du service habillement du théâtre national de Chaillot (1981-2008), Arch. nat. 20160646. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_056063, et auprès du théâtre lui-même pour comprendre la constitution du parquet de la scène qui amplifiait le bruit des pas. [19]Océane Djabellah-Peillon, Cyrano de Bergerac, mis en scène par Jérôme Savary : le bruit du panache, Publication des Archives nationales, 2020, https://books.openedition.org/pan/2395. Apprendre à écouter et analyser une archive sonore lui a ouvert des perspectives : « J’ai découvert le monde des archives du spectacle vivant que je ne connaissais pas. On est habitué à voir des captations, à appréhender un spectacle dans son ensemble, à analyser la mise en scène en associant le son et l’image, à considérer le jeu de l’acteur à travers son corps et sa voix. Travailler sur les archives sonores du Théâtre de Chaillot a bouleversé ma perception du théâtre et du monde qui m’entoure. » [20]Sandrine Gill, “Chaillot lieu de tous les arts”, Mémoire d’Avenir Archives nationales n°32, octobre-décembre 2018, p.10.

Figure 6 : Copie d’écran du générique de Catherine, d’après les Cloches de Bâle de Louis Aragon, mis en scène par Antoine Vitez en 1975 au Théâtre des Quartier d’Ivry. Arch. Nat. 20160438/376. Archives audiovisuelles du Théâtre national de Chaillot.

11 Laisser un commentaire sur le paragraphe 11 0 A l’ère du numérique, la révélation d’un film d’archive a parfois lieu longtemps après sa production, son usage et son versement, sur un support non identifié, dans un service d’archives. C’est le cas pour deux bobines de film 35 mm présentes dans le fonds du Théâtre national de Chaillot, qui avec pour seule indication sur les boîtes « Catherine », sans autre mention, ni date [21]Arch. nat. 20160438/376. La magie s’opère lorsque l’on découvre le générique à l’écran : il s’agit d’une pièce de théâtre intitulée « Catherine », d’après « Les Cloches de Bâle » de Louis Aragon, mise en scène par Antoine Vitez en 1975. La captation de ce spectacle produit par le Théâtre des Quartiers d’Ivry et représenté en Avignon est une archive « document d’activité reçu par le producteur », au sens du code du Patrimoine (« Les archives sont l’ensemble des documents, y compris les données, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité » (Code du Patrimoine, article L211-1) )). Pour le célèbre dramaturge Antoine Vitez, directeur du théâtre national de Chaillot de 1981 à 1988, c’est un outil de travail.
Pour d’autres archives, comme ce film de Robert Enrico L’or de la Durance, réalisé en 1960 et versé aux Archives nationales sur une bobine de film 16 mm, issu de la cinémathèque de l’Agriculture, la numérisation permet une re-découverte [22]Arch. nat. 19960237/315. Ce court métrage en couleur de 26 min vante les progrès technologiques mais aussi le contrôle qualité de l’Etat sur la culture de la Luzerne. Porté par de superbes plans de villages et de paysages de la Provence ensoleillée, la musique entrainante de François de Roubaix et des commentaires lyriques, on se laisse convaincre par une méthode de culture industrielle qui paraissait innovante dans les années 1960 et qui serait certainement décriée aujourd’hui par les défenseurs de l’environnement. Le contrôleur de la République effectue quant à lui sa tournée d’inspection dans une deux-chevaux cahotante parmi les champs frémissants de coquelicots. Une vision bien romantique de l’action du gouvernement…

Figure 7 : Copie d’écran de L’or de la Durance, réalisé en 1960 par Robert Enrico. Arch. nat. 19960237/315. Cinémathèque du ministère de l’Agriculture.

12 Laisser un commentaire sur le paragraphe 12 0 Rencontre entre évolution technologique et vie de l’information des données
Lorsque l’on visionne un film « ancien » sur un autre média et dans un autre contexte, il est peu probable que l’on songe au/aux support(s) d’origine. S’il y a bien un lieu où cette matérialité se manifeste, c’est dans les services d’archives chargés de conserver des bobines des films, bandes magnétiques et cassettes diverses. On découvre alors qu’il y a rarement un support par film, mais pléthore de supports qui correspondent à des copies d’origine, des copies postérieures sur d’autres types de supports. Enfin il arrive de plus en plus fréquemment que l’analogique et le numérique se manifestent dans un même versement.
Le fonds audiovisuel du Théâtre national de Chaillot, versé en 2016 aux Archives nationales [23]Arch. nat. 20160438. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_055964 représente à cet égard un cas exemplaire. Initié dans les années 1970 pour conserver en interne une archive filmée des spectacles, ce fonds est composé de supports analogiques (bobines de films, cassettes U-Matic, VHS) et numériques (DAT, DVD), mais aussi de fichiers numériques issus de numérisation ou natifs [24]Sandrine Gill, “De la bobine au fichier numérique, une archéologie des archives audiovisuelles et sonores du Théâtre national de Chaillot”, Chaillot, lieu de tous les arts, Publications des … Continue reading. Pour un même spectacle, Le soulier de satin de Paul Claudel mis en scène en 1987 par Antoine Vitez, on compte jusqu’à 42 supports : (22 U-Matic, 4 DVCAM, 4 VHS, 12 DVD) et 11 fichiers numériques de format .mp4 . [25]Arch. nat. 20160438/61. Cet ensemble forme l’archive d’une même unité intellectuelle que l’on découvre dans sa version numérisée avec les fichiers joints au versement : une image pixelisée, aux couleurs passées, seules réminiscences de l’histoire de la captation d’origine sur des cassettes U-Matic dites « masters », elles-mêmes copiées sur d’autres U-Matic, puis plus tard, sur des VHS et des DVCAM par un théâtre soucieux de préserver les traces de ses représentations passées. En faisant un saut de quelques années encore, les cassettes d’origine, numérisées par l’INA, reviendront au théâtre sous forme de DVD, dont les fichiers extraits seront à leur tour copiés in fine sur des serveurs informatiques. Comme le remarque justement Matteo Treleani, « la séparation du support et du contenu, causée par le numérique demande la conception d’une nouvelle forme de diplomatique, pour vérifier l’authenticité du document » [26]Matteo Treleani, Mémoires audiovisuelles. Les archives en ligne ont-elles un sens ?, Les presses universitaires de Montréal, 2014, p.47-48. Au-delà de l’authenticité et l’intégrité du document, l’archiviste doit aussi avoir pour mission de contextualiser l’histoire de l’archive audiovisuelle (sujet, auteur(s), acteurs, réalisateurs, producteurs, diffusion, etc.), ses particularités techniques (durée, version, format, volumétrie, etc.), l’historique de sa conservation (copiée d’un support à un autre, d’un serveur à un autre avant d’être accessible sur un écran).

Figure 8 : Dessin de costume réalisé par Michel Dussarat pour la pièce Chantecler d’Edmond Rostand, adaptation et mise en scène de Jérôme Savary du 17 novembre 1994 au 12 février 1995. Arch. nat. 20160646/4. Fonds du service habillement du théâtre national de Chaillot.

13 Laisser un commentaire sur le paragraphe 13 0
Contextualiser c’est aussi mettre en correspondance, comme c’est le cas pour les archives du Théâtre national de Chaillot avec les archives papier, photographiques et sonores. Les archives administratives des différentes directions [27]Archives de fonctionnement du Théâtre national de Chaillot (1960-1987), Arch. nat. 19900195. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_007516 ; Fonds du théâtre national … Continue reading, photographiques [28]Fonds photographique de Jean Vilar à Ariel Goldenberg (1951-2002), Arch. nat. 20180533. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_057576, celles du service habillement avec les dessins des costumes, des échantillons de tissus [29]Fonds du service habillement du théâtre national de Chaillot (1981-2008), Arch. nat. 20160646. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_056063, les affiches des représentations [30]Arch. nat. 20160150. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_055721 forment un tout avec les captations. Les dessins colorés des costumes imaginés par Michel Dussarat pour les personnages animaliers de la pièce Chantecler d’Edmond Rostand se prolongent dans les captations des représentations. Quelle que soit leur nature, ces fonds sont véritablement complémentaires, jamais tout à fait identiques. Les archives sonores du Théâtre national de Chaillot auraient pu être l’exact pendant des archives audiovisuelles, or c’est loin d’être le cas [31]Arch. nat. 20170371. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_056791 ; les bruitages, qui constituent la majorité des enregistrements, sont des matériaux constitutifs de la mise en scène. Pour certains spectacles, il existe également l’enregistrement de la représentation qui complète les captations audiovisuelles. Pour d’autres, les versements comportent soit l’image animée, soit le son.
Parmi les fonds numériques natifs, les archives audiovisuelles de la Présidence de la République représentent, sur le plan de la volumétrie, une proportion importante. Les reportages vidéo diffusés sur le site Internet sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012) représentent à eux seuls 1085 fichiers pour 4 100 Go en format .wav ou .mp4 [32]Arch. Nat 20150697. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_054940 . La durée des interventions varie de quelques minutes à quasiment deux heures pour une table ronde lors d’un déplacement aux Antilles [33]Arch. nat. 20150697/411. Déplacement aux Antilles. – Table ronde tenue lors des Etats Généraux de l’Outre-Mer en Martinique. 25 juin 2009. Durée : 01:43:25. Une des particularités de ces archives est le caractère brut et exhaustif de l’image animée. Alors que la plupart des événements contenus dans ces captations sont connus du public – des évènements largement diffusés dans les médias – rares sont ceux qui ont vu l’intégralité des captations, sans coupe, ni montage. Par analogie avec le monde documentaire, ces archives constituent des rushs, le matériau brut qui servira à sélectionner le « meilleur passage » à diffuser sur internet. Dans ces sélections diffusées sur le site de la Présidence de la République, on ne verra jamais les coulisses de l’évènement, les préparatifs d’une prise de parole, les hésitations, les agacements, l’attitude ou la réaction d’acteurs secondaires, autant d’éléments qui donnent aux archives audiovisuelles, une saveur particulière.

Nouvelles approches des archives audiovisuelles numériques

14 Laisser un commentaire sur le paragraphe 14 0 Nouvelles modalités d’accès aux archives audiovisuelles
Les moyens de valoriser des archives audiovisuelles (expositions, journées d’étude, projets éducatifs, etc.) sont largement répandus. Il existe aussi d’autres manières de réutiliser ces archives en les détournant de leurs fonctions premières, dans des créations artistiques. Les Archives nationales ont commencé à collaborer avec l’association Lieux fictifs, qui utilise des extraits de films d’archives dans des projets de recherche et de création dans le milieu carcéral et d’autres milieux éloignés du monde culturel [34]http://www.lieuxfictifs.org. Suivant un protocole strict, des publics sont amenés à réagir et recomposer une narration personnelle, refaire un montage à partir d’extraits de films d’archives décontextualisées. Cette disruption de la linéarité – caractéristique d’une archive audiovisuelle – constitue une réappropriation particulièrement intéressante. Pour Pascale Cassagnau, « depuis quelques années déjà, la rencontre entre l’art contemporain, le documentaire et l’archive s’est avérée particulièrement féconde : mêlant données heuristiques, questions de méthode et marques d’historicité, un nouvel horizon mesure de s’emparer de l’Histoire, de toutes les histoires » [35]Pascale Cassagnau, « A bruits secrets. L’artiste iconographe et l’archive : images, documents, sons », revue Critique, août-septembre 2020, n° 879-880 « Faire collecte », p. 744-755.
La forme numérique des archives audiovisuelles ouvre de nouvelles perspectives, mais soulève autant de questionnements. Comment collecter, gérer, transmettre, pérenniser des fichiers parfois nombreux, souvent volumétriques et de durées variables, de quelques minutes à des milliers d’heures ? La nature même de l’image animée ne permet pas un feuilletage par analogie avec un dossier d’archives papier, plus aisé à identifier, classer et mettre à disposition du public. Si l’on s’en tient au contenu, rien ne distingue les archives audiovisuelles ou sonores nativement numériques de leurs ancêtres analogiques : en écoutant le témoignage d’une éclusière recueilli sur son lieu de travail, sa parole mêlée aux sonorités d’ambiance, comment peut-on savoir si l’enregistrement a été recueilli sur une bande magnétique ou un dictaphone numérique ?
Les atouts du numériques, la reproductibilité des fichiers, leur conversion en formats adaptés aux usages (consultation, diffusion, réutilisation), leur manipulation (la facilité à faire des montages sans avoir à coller physiquement deux bandes magnétiques, la réversibilité des actions), leur diffusion au plus grand nombre via le web ne sauraient faire oublier les difficultés à restituer la matérialité de l’enregistrement initial, à appréhender des grands ensembles, à les transmettre et les pérenniser : comment sélectionner quelques dizaines de minutes pour un montage destiné à un montage d’exposition lorsque l’on sait que les treize procès historiques conservés aux Archives nationales représentent 2600 heures d’archives filmées ? La question de la difficulté à sélectionner des extraits d’archives filmées a été évoquée par les intervenants de la Journée d’étude Regards croisés sur les procès filmés : filmer, exposer, rendre accessible, organisée en partenariat avec l’Institut d’Histoire du Temps présent, le Mémorial de la Shoah et les Archives nationales le 22 octobre 2020 aux Archives nationales-Pierrefitte-sur-Seine [36]Le programme de cette Journée d’étude peut être téléchargé sur le site des Archives nationales (http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/filmer-les-proces-un-enjeu-social, et sa … Continue reading
Un fichier numérique audiovisuel a une structure linéaire : si l’on peut aisément visionner ou écouter le début, quelques passages intermédiaires et la fin pour avoir une vision d’ensemble du contenu, seul le visionnage ou l’écoute de l’intégralité du fichier permettra, sans l’aide d’un outil, de relever les thèmes abordés, les personnages et les lieux cités. C’est pourquoi nous préconisons de verser la documentation complémentaire disponible. Pour les archives orales, elle peut se traduire par une transcription intégrale, méticuleuse et chronophage. Cette dernière permet de documenter au plus près un fichier audiovisuel, sans pour autant en constituer une analyse. Les fiches chrono-thématiques, par le découpage en séquences successives, synthétisent quant à elles les grands thèmes abordés par le témoin et permettent au lecteur de se repérer dans le time-code du fichier. L’un et l’autre de ces documents constituent des métadonnées documentaires précieuses qui complètent le ou les fichiers numériques, le contextualisent et contribuent à la fois à leur communication, leur exploitation et leur pérennisation. Jusqu’à présent, aux Archives nationales, les versements témoignages étaient constitués de deux éléments distincts : le fichier audio ou audiovisuel d’un côté, la documentation de l’autre. Un des enjeux de l’archivage audiovisuel à l’ère du numérique est de développer des logiciels permettant d’annoter directement les fichiers numériques afin d’en faciliter la consultation mais aussi l’interopérabilité avec d’autres sources complémentaires sur d’autres supports. Les Archives nationales, en partenariat avec le CNAM PARIS DICEM IDF, sont notamment engagées, aux côté de la Bibliothèque nationale de France, l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis dans le projet de recherche du Labex Les Passés dans le Présent, OPAHH IIIf, qui a pour objectif « d’offrir aux chercheurs en humanités numériques et aux professionnels du patrimoine (Musées, bibliothèques, archives) un outil ergonomique, contributif et ouvert pour faciliter, accélérer, approfondir leurs phases d’analyse d’images et de vidéos et rendre réutilisables leurs résultats par la communauté scientifique via le format d’échange IIIF » [37]https://www.dicen-idf.org/tag/iiif.

15 Laisser un commentaire sur le paragraphe 15 0
Des archives à l’épreuve d’un arsenal législatif complexe
Autre particularité des archives audiovisuelles, leur statut d’œuvres de l’esprit couvertes par le droit de la propriété intellectuelle. Qu’elles soient considérées comme relevant de la catégorie d’archives publiques et versées dans un service d’archives publiques comme les Archives nationales, les archives audiovisuelles, librement communicables pour la plupart d’entre elles, ne peuvent pas être diffusées ou réutilisées sans l’autorisation de leur(s) auteur(s). La facilité qu’offre le numérique à diffuser des fichiers audiovisuels ne saurait se confondre avec la protection des œuvres. Quand ces archives entrent aux Archives nationales, certaines sont bien accompagnées de contrats ou conventions comme les contrats signés par les témoins enregistrés dans des campagnes de collecte d’archives orales, ou les contrats signés par les réalisateurs sollicités par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. La vigilance des archivistes est constamment appelée par d’autres situations d’une complexité juridique plus importante, comme le très subtil droit des œuvres produites par les chercheurs. Le cas des archives ethnomusicologiques collectées par les chercheurs de l’ancien Musée national des Arts et Métiers en est un des cas les plus emblématiques [38]Martine Sin Blima-Barru, « Les enregistrements sonores du musée national des Arts et Traditions populaires aux Archives nationales », Bulletin de l’AFAS [En ligne], 46 | 2020, … Continue reading.

16 Laisser un commentaire sur le paragraphe 16 0 Les archives audiovisuelles lieu de création d’« archives alternatives » ?
En 2017, l’Université catholique de Louvain avait invité ses intervenants à réfléchir sur la notion de fabriques alternatives d’archives. [39]Martine Sin Blima-Barru (2020, à paraitre) : « Le magistrat, l’archiviste et le réalisateur : la fabrique mémorielle des archives audiovisuelles de la Justice », Actes du colloque … Continue reading Les archives audiovisuelles sont la possibilité de création d’archives qui ne ressortent pas du cours administratifs ou judiciaires d’une activité et donnent à voir des représentations qui échapperaient à la production d’archives.
De fait, l’archive audiovisuelle ne saurait être interprétée de manière autonome, sans les sources complémentaires et le contexte de production. Le suivi en direct de la captation du procès des attentats de janvier 2015 au Tribunal Judiciaire de Paris, destinée, par son enregistrement intégral, à constituer des nouvelles archives audiovisuelles de la Justice permet de comprendre l’apport, mais aussi les limites de l’image animée en tant qu’archive. Alors que les caméras saisissent le langage du corps, l’expression des personnes en train de s’exprimer mais aussi le plus banal quotidien d’une salle de tribunal (avocats en train de pianoter sur leur téléphone, de transmettre un dossier à un collègue, présence silencieuse mais active des dessinateurs de presse…), l’archive de ce procès ne saurait être complète sans les archives juridiques (pièces de procédures, documents produits dans le cadre du suivi du procès par le greffe) qui l’accompagnent.
Ces archives audiovisuelles en cours de constitution, au moment de la rédaction de cet article, sont un objet de réflexion passionnant tout comme d’autres expériences de création volontaire d’archives. L’exposition Rappelle-toi Barbara, Des femmes racontent la Seconde Guerre mondiale, organisée par les Archives nationales en 2018 proposait à la photographe documentaire Maureen Ragoucy d’exposer dans un service d’archive un travail d’artiste en correspondance avec les nombreuses archives historiques conservées dans l’institution [40]Rappelle-toi Barbara. Des femmes racontent la Seconde Guerre mondiale. Exposition photos et vidéos de Maureen Ragoucy, du 11 octobre au 5 décembre 2018 – Archives nationales, site de … Continue reading. Ce projet était porté par un double objectif : montrer un regard artistique sur des évènements historiques largement documentés et sensibiliser les artistes à l’archivage de leur matière de production audiovisuelle (rushs, versions intermédiaire, etc.).

17 Laisser un commentaire sur le paragraphe 17 0 Arlette Farge évoquait « le plaisir physique de la trace retrouvée » de la consultation d’archives manuscrites, « comme si, en dépliant l’archive, on avait obtenu le privilège de « toucher le réel » [41]Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Editions du Seuil, 1989, p.19 et p. 18. A l’ère de l’archive audiovisuelle numérique, le plaisir des sens prend d’autres formes mais n’en est pas moins enivrant. Céline Loriou parle du « charme » du travail d’écoute d’émissions radiophoniques, le casque sur les oreilles, devant un écran d’ordinateur, à la Bibliothèque nationale de France. [42]« À l’écoute, tout cela apparaît si clairement, si sensiblement, et pourtant, dès lors que l’on tente de décrire ces voix et ces manières de parler, celles-ci semblent se dérober à nous. … Continue reading. Ce charme, dans d’autres circonstances, peut être celui de la découverte d’une image animée tombée dans l’oubli, la saveur des aspérités visuelles et sonores qui donnent l’impression d’être au plus près du réel, l’exaltation devant le dévoilement des coulisses d’un évènement connu… C’est aussi le plaisir de se confronter à des enjeux, de relever des défis pour jouer, en tant qu’archiviste, le rôle de médiateur pour le temps présent et le futur. Enfin, le détournement de l’usage premier des archives dans la création contemporaine est une source d’étonnement et d’admiration sans cesse renouvelée.

Références

Références
1 Je tiens à remercier Martine Sin Blima-Barru, responsable du Département de l’archivage électronique et des archives audiovisuelles aux Archives nationales, de m’avoir donné le goût des archives audiovisuelles, le temps de faire des expérimentations et de m’approprier le sujet sous différentes facettes que je n’ai pas fini d’explorer. Cet article est également nourri de ses propres recherches et appétences pour les archives audiovisuelles.
2 Sous la direction de Martine Sin Blima-Barru, Panorama sur 35 ans de collecte d’archives audiovisuelles aux Archives nationales. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_052868
3 Après son départ de Archives nationales, Chantal Tourtier-Bonazzi poursuit cette démarche par des rencontres de résistants, d’anciens déportés et même des collaborateurs pour enregistrer leurs témoignages et faire des Archives nationales une référence dans le domaine de la constitution volontaire d’archives orales.
4 Sarah Fichman, Femmes de prisonniers de guerre, 1940-1945, L’Harmattan, 1987
5 William Guéraiche, Les Femmes et la République : essai sur la répartition du pouvoir de 1943 à 1979, Paris, Edition de l’Atelier, coll. « Patrimoine », 1999
6 Olivier Wieviorka, Nous entrerons dans la carrière, Seuil, 1994
7 Plusieurs films issus des versements de ces cinémathèques furent présentés dans le cadre des Rendez-vous de l’histoire de Blois, le 9 octobre 2020 : Gouverner par l’image : les cinémathèques des Ministères, par Sandrine Gill pour les Archives nationales, Isabelle Nathan et Jean-Philippe Dumas pour les Archives diplomatiques.
8 Sandrine Gill, “Les archives orales des ministères de l’équipement et de l’environnement (1994-2016) : un versement hybride exceptionnel”, Mémoire d’Avenir. Archives nationales n°37, janvier-mars 2020, p. 6.
9 Entretien d’Agnès Jolivet, éclusière, réalisé le 9 février 2015 par Reinhard Gressel, sociologue, chargé de recherche à l’IFSTTAR (SPLOTT) et Jeanne Dressen, anthropologue. Arch. nat. 20170332/138 : Archives orales des ministères de l’Équipement et de l’Environnement (1994-2016). https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_057713
10 Martine Sin Blima-Barru, Les archives audiovisuelles de la Justice. Des archives alternatives pour construire une mémoire de la Justice », Culture et recherche n°141. Cinéma, audiovisuel, son, printemps été 2020, p. 44-45.
11 Exposition Filmer les procès, un enjeu social, Archives nationales, du 15 octobre 2020 au 14 mai 2021, sites de Pierrefitte-sur-Seine et Paris. Commissariat : Martine Sin Blima-Barru, conservatrice du patrimoine, responsable du département de l’archivage électronique et des archives audiovisuelles, Archives nationales et Christian Delage, professeur à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, directeur de l’Institut d’histoire du temps présent. http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/filmer-les-proces-un-enjeu-social
12 Selon le code du patrimoine (L. 222-3), peuvent faire l’objet d’un enregistrement sonore ou audiovisuel les audiences publiques devant les juridictions administratives ou judiciaires, à la condition que cet enregistrement présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la Justice.
13 Arch. nat. 20130407
14 Arch. nat. 20200128
15 Arch. nat. 20160153. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_055910
16 Variétés n°13 [Couronnement d’Hailé Sélassié I er, roi des rois d’Éthiopie, seigneur des seigneurs, lion conquérant de la tribu de Juda, lumière du Monde, élu de Dieu], 1930. Réalisateur anonyme.10’. Muet. Cinémathèque du ministère de l’Agriculture, Arch. nat. 20000560/67-68
17 ECHO. [ECrire l’Histoire de l’Oral] L’émergence d’une oralité et d’une auralité modernes. Mouvements du phonique dans l’image scénique (1950-2000)
18, 29 Fonds du service habillement du théâtre national de Chaillot (1981-2008), Arch. nat. 20160646. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_056063
19 Océane Djabellah-Peillon, Cyrano de Bergerac, mis en scène par Jérôme Savary : le bruit du panache, Publication des Archives nationales, 2020, https://books.openedition.org/pan/2395
20 Sandrine Gill, “Chaillot lieu de tous les arts”, Mémoire d’Avenir Archives nationales n°32, octobre-décembre 2018, p.10
21 Arch. nat. 20160438/376
22 Arch. nat. 19960237/315
23 Arch. nat. 20160438. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_055964
24 Sandrine Gill, “De la bobine au fichier numérique, une archéologie des archives audiovisuelles et sonores du Théâtre national de Chaillot”, Chaillot, lieu de tous les arts, Publications des Archives nationales, OpenEdition Books, 2020
25 Arch. nat. 20160438/61
26 Matteo Treleani, Mémoires audiovisuelles. Les archives en ligne ont-elles un sens ?, Les presses universitaires de Montréal, 2014, p.47-48
27 Archives de fonctionnement du Théâtre national de Chaillot (1960-1987), Arch. nat. 19900195. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_007516 ; Fonds du théâtre national populaire- Direction Jean Vilar (1923-1966), Arch. nat. 295AJ/1-295AJ/948. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_054000 ; Fonds de la direction Jérôme Savary (1975-2003), Arch. nat. 20160552. ; Fonds de la direction Ariel Goldenberg (1976-2013), Arch. nat. 20180532. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_057577 ; Fonds des directions Jean Vilar, Georges Wilson, André-Louis Perinetti, Antoine Vitez (1941-1996), Arch. nat. 20170180. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_056748
28 Fonds photographique de Jean Vilar à Ariel Goldenberg (1951-2002), Arch. nat. 20180533. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_057576
30 Arch. nat. 20160150. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_055721
31 Arch. nat. 20170371. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_056791
32 Arch. Nat 20150697. https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_054940
33 Arch. nat. 20150697/411. Déplacement aux Antilles. – Table ronde tenue lors des Etats Généraux de l’Outre-Mer en Martinique. 25 juin 2009. Durée : 01:43:25
34 http://www.lieuxfictifs.org
35 Pascale Cassagnau, « A bruits secrets. L’artiste iconographe et l’archive : images, documents, sons », revue Critique, août-septembre 2020, n° 879-880 « Faire collecte », p. 744-755
36 Le programme de cette Journée d’étude peut être téléchargé sur le site des Archives nationales (http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/filmer-les-proces-un-enjeu-social, et sa captation visionnée sur la chaîne Youtube de l’institution : https://www.youtube.com/user/ArchivesNationalesfr/videos.
37 https://www.dicen-idf.org/tag/iiif
38 Martine Sin Blima-Barru, « Les enregistrements sonores du musée national des Arts et Traditions populaires aux Archives nationales », Bulletin de l’AFAS [En ligne], 46 | 2020, http://journals.openedition.org/afas/3950uj
39 Martine Sin Blima-Barru (2020, à paraitre) : « Le magistrat, l’archiviste et le réalisateur : la fabrique mémorielle des archives audiovisuelles de la Justice », Actes du colloque international, 17e journée des archives de l’Université catholique de Louvain, Archiver le temps présent, les fabriques alternatives d’archives, 26-27 avril 2018, Presses universitaires de Louvain
40 Rappelle-toi Barbara. Des femmes racontent la Seconde Guerre mondiale. Exposition photos et vidéos de Maureen Ragoucy, du 11 octobre au 5 décembre 2018 – Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine. Commissariat : Martine Sin Blima-Barru, conservatrice du patrimoine responsable du département de l’archivage électronique et des archives audiovisuelles, Archives nationales
41 Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Editions du Seuil, 1989, p.19 et p. 18
42 « À l’écoute, tout cela apparaît si clairement, si sensiblement, et pourtant, dès lors que l’on tente de décrire ces voix et ces manières de parler, celles-ci semblent se dérober à nous. L’accumulation d’adjectifs ne parviendrait pas, de toutes les façons, à rendre compte du grain de la voix, du ton, du timbre, du débit de parole… La voix se prête difficilement à la quantification et ce qui fait la dimension personnelle et sensible du document sonore ne peut être rendu à l’écrit. Mais c’est probablement ce qui fait le charme d’un tel travail. » Céline Loriou, Faire de l’histoire un casque sur les oreilles : le goût de l’histoire radiophonique, 27 mars 2018

Source :https://gout-numerique.net/table-of-contents/larchive-audiovisuelle/du-support-analogique-au-fichier-numerique-enjeux-et-problematiques-des-archives-audiovisuelles-conservees-aux-archives-nationales